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Ils viennent un jour te débusquer dans un marécage de silence, d'ébauches refoulées, ils croisent ton chemin de murmures sombres. Hasards. Dans ta besace dorment feuillets, lambeaux, petites phrases, tout un fatras de bavardages. L'Estocade vient d'être portée aux fonts baptismaux. Tu te défricheras, tu tailleras dans tes efflorescences de quoi coucher, sur un papier rugueux, une avancée d'esquisse, ton reliquat d'éclipses. Ils te liront, puisqu'ils lisent tout. Ils te liront. Avec l'homme brun viendront ensuite de brefs échanges autour de lignes à peaufiner, de mots qu'il faut polir. Quelques questions, d'essentiels détails. La précision des artisans de la parole, des conquérants du chuchotement, est sans limites. A juste titre : ils laissent au monde l'essence de leurs vibrations. Un soir, l'un des dompteurs d'alphabets, sous un prétexte futile, t'amènera dans la belle maison là-bas qui, sur la terre lorraine, est comme un fragment d'Italie. Juste quand tu ne penseras à rien, le diable barbu sortira d'une cachette tes exemplaires à peine parus, à peine secs : un livre qui s'efface, qui balbutie à la frontière de l'absence. Une parole qui est la tienne, et que tu croises toujours avec surprise : qui donc écrit en toi ? Depuis se griffonnent d'autres gestes, des bégaiements. D'autres rencontres, des crissements de plume. Une longue estafilade dans le visage du vent. De l'aventure reste un enivrement, tout un vertige. Et cette certitude : il fallait qu'il advienne, le premier livre. Ton premier livre. Dans la chaleur du verbe, de l'amitié.
© Daniel Bourrion pour l'Estocade
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